-
Moralopolis
Auteur : Catherine Marx
Éditeur : Tabou
2012
Couverture illustrée, 256 pages, 15 x 23 cm
ISBN : 978-2-915635-97-3
Prix : 18 €
Genre : anticipation, dystopie
Thèmes : gynocratie, féminisme, dictature, société
Quatrième de couverture :
"Il est des destins glorieux, d'autres tragiques. Je n'aspirais à aucun d'eux. J'avais envie de mener une vie banale, de passer inaperçu. Je désirais me fondre parmi la masse des étoiles, n'être ni une météorite traversant le firmament dans une traînée de lumière, de manière aussi prétentieuse qu'éphémère, ni de ces astres que l'on remarque par leur éclat insolent.
Juste scintiller discrètement.Ce vœu timide et raisonnable ne fut pas exaucé. Parce que je suis né au mauvais endroit, au mauvais moment... La France, berceau de mon enfance, n'est plus le pays des Lumières depuis longtemps. Il y règne des ténèbres effroyables, glaçantes et mortifères.
Cette nation dirigée par des êtres au cœur de pierre, a scellé mon destin. J'y devins celui qu'on pensait que j'étais..."
France, 2050. Les féministes radicales ont pris le pouvoir, avide de revanche, usant de la loi pour réprimer tout comportement machiste. À Moralopolis, la science médicale se fait l'alliée politique d'un eugénisme à visée sécuritaire, au service d'un gouvernement despotique ayant réduit à néant la notion de liberté sexuelle. La peur y façonne les rapports sociaux et influe jusqu'aux comportements érotiques. Si les homme en pâtissent, les femmes en sont-elles pour autant plus libres et heureuses ? Pas si sûr...
Après "Nid d'Ève, Nid d'Adam" (éditions Tabou, 2012), CATHERINE MARX développe dans ce roman certains de ses thèmes de prédilection : la liberté de disposer de son corps face à la médecine et au pouvoir politique, sans oublier l'influence majeure et délétère d'un féminisme radical venant miner les rapports hommes-femmes pour finalement saper les fondements de la liberté et restreindre l'idée du bonheur.
Mon avis personnel, à moi :
Franck Doutandre vit heureux, dans cette France de l'an 2050, avec Amandine. Lorsqu'elle parle enfin de mariage, tous deux décident de faire leur portrait génétique. Franck ne l'a pas fait, comme beaucoup d'autres, dès sa naissance, ses parents ne cautionnant pas vraiment cela. Mais les résultats ne sont pas ceux qu'il escomptait : il découvre qu'il est porteur du gène du viol. Amandine refuse de continuer sa route avec un violeur potentiel et le quitte. Mais tout va aller de mal en pis pour Franck. Au boulot, il tente maladroitement de flirter avec une collègue qui l'accuse de harcèlement. C'est ainsi qu'il se retrouve en stage de redressement moral et c'est là qu'il décide de se laisser guider par son soi-disant gène du violeur.
Tout va s'enchaîner jusqu'au final bouleversant et inattendu.J'avoue avoir eu du mal à adhérer à ce roman au début ; les noms des personnages, dignes de Mickey Parade (Elsa Mindacié, Adèle Pouhain-Tendu, Annabelle Garre-Dechiourme...) m'ont laissé perplexe... puis je m'y suis habituée et me suis laissée entraîner dans ce roman dystopique.
Le gouvernement gynocratique mis en place souhaite éradiquer toute trace de patriarcat. Les lois visent toutes à protéger les femmes, parfois au détriment d'hommes innocents. Les femmes au pouvoir font payer les siècles d'oppressions, d'injustices, de douleurs qu'elles ont subies lorsque les hommes gouvernaient. Leur lutte est légitime mais, à la tête de l’État, elles font exactement la même choses qu'eux, voire pire. L'injustice règne à nouveau mais maintenant ce sont les hommes qui en font les frais.
Les personnages, malgré leurs noms un peu trop évoquateurs, sont dépeints avec psychologie. On découvre leurs différentes facettes ; les méchants ont aussi de bons côtés, et les gentils ne le sont pas toujours autant qu'on le croit (j'ai particulièrement apprécié le personnage de Annabelle Garre-Dechiourme, officier-instructeur lors du stage de redressement moral, présentée comme une femme rustre, sans cœur, détestant les hommes et au fil de l'histoire, on découvre une femme pouvant faire preuve d'une grande tendresse et d'une loyauté à toutes épreuves, jouant le rôle que la société lui a assigné comme à de nombreuses femmes).
Ce roman dénonce le féminisme extrême et défend un modèle que l'on est encore loin d'atteindre. Un modèle où l'on ne jugerait plus de la qualité d'une personne d'après son genre, où hommes et femmes cohabiteraient en bonne intelligence, utilisant les capacités, les aptitudes, les talents de chacun, sans tenir compte du fameux chromosome X ou Y, pour faire une société meilleure !
Il est vrai qu'au début de ce roman, j'ai été un peu agacée par la représentation d'un gouvernement féminin aussi despotique ; pour moi, il était très difficile d'imaginer que des femmes, ayant souffert si longtemps d'oppression, puissent être pire que les hommes : mon féminisme était touché, mis à mal par ce livre. Puis, au fil des pages, j'ai compris que ce que dénonçait l'auteur n'était pas tant ce féminisme que le fait de vivre, de baser toute chose sur le genre... et non pas sur la personne. Elle a tout à fait raison de penser qu'une société meilleure ne peut exister que si l'on tient compte de chaque individu dans son entièreté et pas seulement sur le fait que ce soit un homme ou une femme. Elle dénonce également l'abus que l'on peut faire de la génétique, de la loi, de la justice...
En fin de compte, il s'agit non seulement d'un roman dystopique mais aussi d'un roman révolutionnaire qui prône l'égalité entre tous sans distinction de sexe, de couleur, d'âge... qui dénonce la dictature, l'injustice et tellement d'autres choses.
Un roman que je n'aurai peut-être pas conseillé à la lecture des seules premières pages mais qui, après en avoir lu les derniers mots, ne nous laisse pas indifférent et nous pousse à nous poser de nombreuses questions sur notre société et surtout sur celle que l'on souhaite voir naître...4/5
D'autres avis :
- Salon littéraire
- Le blog des livres qui rêvent
- Tous les livresRoman lu dans le cadre de , je tiens à remercier Babelio et les éditions Tabou pour cette excellente lecture.
-
Commentaires
Merci beaucoup pour cette critique de Moralopolis. Je suis vraiment enchantée qu'il vous ait plu !
Les patronymes saugrenus plaisent effectivement à certains et déstabilisent (voire horripilent) d'autres personnes. Ils sont là pour apporter une touche de grotesque et de légèreté à un roman assez sombre. Ils me permettent aussi d'interroger le lecteur : Charly Mac Abbé est-il directeur d'une morgue parce qu'il aurait été influencé par son nom ? Peut-être... Néanmoins, tous les Mac Abbé du monde n'ont pas un métier en rapport avec la mort. Il en va ainsi de la génétique : posséder certains gènes prédisposant à certains troubles ne signifie pas forcément qu'on va les développer. L'expression des gènes est liée à des facteurs environnementaux, sociaux et affectifs. Enfermer des gens dans une case - en se basant sur les apparences (sexe, profil génétique, patronyme...) - revient parfois à leur faire exprimer ce qu'on redoute qu'ils puissent devenir. C'est tout le conditionnement social qui est interrogé dans Moralopolis, à travers l'histoire de ses nombreux personnages. (Oui, Annabelle Garre-Dechiourme est touchante. Comme Franck, c'est un personnage très contrasté qui fait ressortir toute la complexité de l'être humain, capable du pire comme du meilleur). Mille mercis !